Article paru pour Hommes de Polynésie, 14 mars 2024.
Sous la désignation de « sans-abri », il y a avant tout un homme, un être humain, une personne. Personne, pour beaucoup, c’est ce qu’il représente. Hommes de Polynésie ébrèche cette barrière invisible qui sépare les gens domiciliés des sans domiciles, pour entendre la voix de Tino, avec son rire, ses tristesses, sa réalité au jour le jour, et ses rêves.
Logement
Sa démarche est lente, boiteuse. Tino Ferdinand passe ses journées debout, alors que sa jambe devrait être au repos. Il devrait avoir un chez-soi, un lieu confortable, un abri digne où se reposer après son travail, où se délasser. Un logement convenable, selon le droit international relatif aux droits de l’homme (1).
« J’ai besoin d’une maison. »
Tino travaille toute la journée. Sa condition physique ne lui permet pas d’accéder à n’importe quel type d’emploi.
« J’ai fait une demande à la COTOREP (2), qui doit passer en commission. »
Tino travaille proche du lieu où il dort. Ses affaires sont quelque part plus loin, en sécurité. Ainsi, il peut vaquer à ses occupations sans avoir à s’en soucier. Il aide les voitures à se garer rue Paul Gauguin à Papeete, il gère également l’arrêt du bus touristique, et le soir, il veille sur les véhicules des noctambules pour éviter tout vandalisme. Les automobilistes le paient en fonction de ce qu’ils estiment juste. C’est ainsi que Tino gagne sa vie, ou du moins de quoi payer ses repas. Avant, il réalisait des petits boulots, à droite à gauche ; il a notamment été saisonnier aux papio du Tiurai (3). Jusqu’à l’année passée, quand le parking de Vai’ete existait encore, c’est là que Tino vivait, travaillait et dormait.
Fragilités
Tino est plus à l’aise avec la langue tahitienne, mais il fait l’effort de trouver les mots en français. Son regard est doux, son T-shirt d’un blanc immaculé, son pantalon masque une jambe malheureuse, dont l’évasement laisse apparaître un pied très gonflé, craquelé comme la terre d’un désert. On dirait que Tino a pris l’habitude de cette jambe qu’il traîne derrière lui. Qu’il s’en soucie juste quand elle le rappelle à l’ordre, parce qu’avant cela, tant d’autres choses sont prioritaires. Il y a des vies où la santé passe au second plan. Où le logement est une chimère. Où le respect de soi est d’une infinie fragilité. Où l’on a envie de retenir son souffle pour maintenir un équilibre si délicat.
« Je viens de Mahina. Nous étions trop nombreux à la maison, alors je suis parti. »
C’était en 2001. Il avait la trentaine. Il s’est senti de trop, ne souhaitait pas déranger. Pour Tino il n’existait alors pas d’autres options que la rue. Il y est resté.
Nous nous installons sur un banc. L’équipe de maraude (4) de l’association Te Torea, qui œuvre pour les personnes sans-abri à Tahiti, vient visiter Tino pour s’enquérir de sa santé, lui offrir une écoute empathique, et un café. Aujourd’hui, Malia et Jefferson lui apportent aussi des documents qui lui permettront d’obtenir un bon alimentaire, et des médicaments pour traiter son infection chronique de la jambe.
« Je me sens malade en ce moment. Parfois je me rends à l’hôpital. »
Solitude
Tino se sent fatigué. Son visage est usé, vieilli. La vie dans la rue marque la peau, le cœur, et l’âme.
Tino préfère dormir dans la rue. À plusieurs reprises il s’est retrouvé délesté de ses quelques valeurs après avoir sommeillé dans des centres d’hébergements. Tino reste méfiant, les vols peuvent également survenir dans la rue.
« Je préfère rester seul, à l’écart des autres. »
Double solitude. En retrait de la société, en retrait des habitants de la rue. Il lui reste ces bouts de discussion échangés au coin du trottoir. L’humanité de certains passants et commerçants. L’humour et le rire qu’il n’a pas oubliés. Des étincelles de joie qui ponctuent un quotidien qu’il accepte sans l’avoir choisi.
Merci Tino pour ton témoignage. Merci à l’association Te Torea pour votre collaboration.
Notes :
1. Le droit à un logement convenable fait partie du droit à un niveau de vie suffisant (article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme).
2. Commission technique d’orientation et de reclassement professionnel, qui concerne l’attribution de prestations dans le cadre de l’insertion professionnelle de la personne porteuse de handicap.
3. Manèges aux fêtes de Juillet
4. Parcours effectué par les humanitaires dans les rues ou les campements des grandes villes pour porter assistance aux personnes qui y vivent.
Texte et photos : Doris Ramseyer, pour Hommes de Polynésie
Pour plus de renseignements
L’association Te Torea voit le jour en 2004, pour aider et accompagner les personnes en grande difficulté, qui vivent de et dans les rues de Papeete. Mais ses actions débutent déjà en 1998, avec le Club de prévention spécialisé contre la délinquance juvénile. L’association compte aujourd’hui 36 salariés, employés dans 3 centres (1 centre de jour et 2 centres d’hébergement), avec une équipe de rue. Dans le but d’une réinsertion socio-professionnelle, Te Torea aide les personnes sans-abri dans leurs démarches administratives, la recherche d’un emploi et d’un logement. L’association dispense des repas dans les centres, propose des premiers soins, réalise de la prévention (notamment auprès des personnes prostituées), et organise des activités à caractère économique, ainsi que divers ateliers (contre l’illettrisme, pour préparer un dossier de candidature et recréer du lien social).
Pour soutenir l’association Te Torea grâce à des dons (numéraires, alimentaires ou vestimentaires), vous pouvez appeler le 87 72 66 05 ou le 40 42 39 18.
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